Lettre Montataire Bartout

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SA des Forges & Fonderies de Montataire                               Paris, le 3 avril 1874
 Rue Béranger, 21,
Mr A. DE LA MARTELLIERE
Directeur Gérant

Monsieur Lépineau, maire de la commune de Bouxières-aux-Dames près Nancy

Monsieur,
Nous vous demandons bien pardon d’avoir autant attendu pour répondre à la lettre que vous nous avez fait l’honneur de nous écrire le 16 janvier dernier.
Le principal motif de ce retard tient a ceci qu’effrayée à tous les points de vue de quelques accidents successifs, nous avons voulu faire faire par Mr Beaulieu une enquête sérieuse, plus minutieuse qu’à l’ordinaire, afin de nous rendre bien compte de la cause qui a amené la mort si regrettable de l’ouvrier Barthoud.
Vous nous avez dit, Monsieur, que les circonstances de l’accident sont de nature à en laisser les conséquences à notre charge ; de là vous arrivez à conclure à « un secours de 8000F en faveur de la veuve et des enfants, somme suffisante, juste et modérée ».
Nous savons par expérience combien on est rigoureux envers les Stés industrielles, en pareil cas ; cette rigueur va souvent jusqu’à l’injustice ; les appréciations sont bien plus modérées quand il s’agit de simples particuliers. Mais nous passons sur ce côté de la question.
Nous croyons, Monsieur, que vous n’avez pas été complètement renseigné sur les causes de l’accident dont il s’agit.
Mr Beaulieu s’est livré à une enquête minutieuse et il a appris que le malheureux Barthoud avait négligé, le jour de l’accident, comme cela lui arrivait quelquefois – trop souvent dans tous les cas – de placer la sous ventrière.
Or la sous ventrière n’eut pas permis au brancart de se lever, et si le brancart ne s’était pas levé, l’accident n’avait pas lieu.
L’accident est donc le résultat d’un acte personnel de Barthoud, acte contraire aux usages mêmes de son métier, contraire aux habitudes de l’usine de Frouard, et échappant par sa nature, à la surveillance du chef des mines.
Nous ne devons point être responsables de cet accident envers la veuve et les enfans, pas même responsables de la perte du cheval tué.
Il reste la question de l’humanité à laquelle vous le savez, Monsieur le Maire, nous ne pouvons être insensibles.
Mr Beaulieu a pourvu aux premiers secours, et a fait donner aux enfans de Barthoud, travaillant dans l’usine, un salaire supérieur à celui qu’ils avaient et à la tâche à remplir.
Nous sommes disposés à continuer toute la bienveillance possible à ces enfans et à nous occuper d’eux, disposés aussi à secourir la veuve ; mais nous ne voudrions pas qu’on se fit une arme, comme cela arrive trop souvent, de nos meilleurs sentiments pour tenter d’obtenir plus devant le Tribunal compétent.
Nous remettons cette lettre à Mr Beaulieu ; il aura l’honneur de vous voir et nous espérons qu’il pourra tomber d’accord avec vous sur le chiffre du sacrifice volontaire que nous ferons pour la veuve et les enfans d’un de nos bons et honnêtes ouvriers.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de nos sentiments distingués.
Le Directeur Gérant,
A de la Martellière