Introduction
A la faveur des Journées du Patrimoine de septembre 2022, CRVB a voulu commémorer le 700ème anniversaire de la statue de Vierge à l’Enfant qui orne le mur chevet du choeur de l’église Saint-Martin. Nous avons donc exposé aux visiteurs ce que l’on sait de cette oeuvre qui passe désormais pour l’une des plus belles de la sculpture gothique en Lorraine.
La statue de Notre-Dame de Bouxières provient de l’ancienne abbaye, pour laquelle elle a très certainement été réalisée.
Le monastère fondé en 938 par Gauzelin, évêque de Toul, avait été placé sous le patronage de la Vierge, car au sommet de la colline se trouvait une antique chapelle ruinée où les pèlerins vénéraient déjà une image de Notre-Dame à laquelle étaient attribués de nombreux miracles.
Les transformations ultérieures des bâtiments et l’évolution de la règle et des usages expliquent qu’on ait réalisé, au début du XIVème siècle et grâce à la maîtrise acquise par les artistes, une nouvelle sculpture plus conforme à la renommée de l’abbaye de Bouxières.
C’est au moment du démantèlement de celle-ci, en 1791, que la statue a été déposée et placée à l’église Saint-Martin.
Généralités
La Vierge à l’Enfant est le thème le plus traité dans la peinture et la sculpture religieuses.
Selon la tradition orthodoxe, l’évangéliste Luc aurait dessiné un portrait de la Vierge dont se seraient inspirés les centaines d’artistes qui, au Moyen Age, inondèrent de leurs oeuvres toute l’Europe occidentale.
Le rôle éminent de Marie ayant été reconnu très tôt par l’Eglise, le motif de la Vierge tenant l’Enfant Jésus est donc présent dans la peinture dès les premiers siècles de l’art chrétien.
Au IXème la dévotion mariale s’affirme; la chapelle édifiée au sommet de la montagne de Bouxières en est une preuve et à partir du XIème siècle l’essor des Vierges sculptées devient considérable.
L’époque romane – Xème et XIème – voit se développer, traité en ronde-bosse, un type de Vierge assise sur un trône. On parle alors de Vierge en majesté.
La transition du Roman au Gothique se caractérise par le passage d’une Vierge hiératique, c’est-à-dire répondant à un certain formalisme religieux imposé par la tradition, à une Vierge souvent en pied, plus gracieuse et présentant son enfant.
Alors qu’autour de l’An Mil les Vierges sont généralement réalisées en bois polychrome, les sculpteurs, au début du XIIIème, se mettent à travailler la pierre comme de la dentelle, à rendre les courbes plus douces et les postures plus souples, à creuser les drapés.
Quant à l’Enfant Jésus, il prend des allures plus dynamiques, il joue, il bouge, croise les jambes, manipule des objets.
Etrangement la sculpture médiévale en Lorraine a surtout été étudiée par des historiens étrangers; c’est le cas de la statue de Bouxières, qui a fait l’objet d’une analyse de Josef Adolf Schmoll gen. Eisenwerth, un des plus éminents historiens de l’art allemands, publiée en 2005 dans « Die lothringische Skulptur des 14. Jahrhunderts Ihre Voraussetzungen in der Südchampagne und ihre außerlothringischen Beziehungen ».
Nous en reproduisons l’essentiel ci-après.
Description
Cette Vierge est une statue en pied.
Elle provient de l’ancienne église Notre-Dame, église abbatiale des nobles Dames de Bouxières.
Elle est en pierre calcaire.
Elle mesure 118 cm de haut
50 cm de large
28 cm de profondeur.
Structure
Elle est taillée en ronde-bosse, c’est-à-dire qu’elle repose sur un socle et qu’elle est travaillée sur toutes ses faces.
On en a fait disparaître les ajouts du XIXème siècle, qui dévaluaient la statue. Il subsiste de belles traces de peintures anciennes mais elle présente aussi des retouches récentes, particulièrement sur les pupilles, qui donnent au regard des deux personnages une fixité exagérée.
Etat de conservation
La couronne originelle en pierre a été martelée et rabotée à une période postérieure au Moyen Age pour la remplacer par une couronne de métal, insérée dans un évidement circulaire. Celle-ci a été retirée en1974, au moment où la statue a été déposée de l’autel latéral où elle se trouvait depuis 1887, pour être fixée dans la niche du mur chevet.
La partie supérieure du voile recouvrant la chevelure présente des amorces de plis apparemment anciennes.
Avant 1974 la Vierge tenait un sceptre en bois dans la main droite. Il a été retiré. A l’origine elle tenait bien un objet en pierre, très probablement un sceptre, symbole complémentaire de sa royauté céleste ou peut-être une fleur de lys, comme l’ont suggéré certains spécialistes.
La main droite semble avoir été cassée, tout comme l’extrémité de la ceinture qui aurait dû dépasser de la main droite de l’Enfant Jésus.
Seule la main de la Vierge a été replacée.
Origine: Lorraine centrale.
Datation: autour de 1315/1320.
Etat: très bon.
Description
L’élégante et imposante statue de la Vierge de Bouxières-aux-Dames s’inscrit dans la lignée de celles de Longuyon, de Saint-Dié, de Berlin et Paris mais donne une impression plus monumentale qui serait encore accentuée si elle n’avait pas perdu sa couronne.
Le visage est plat, empreint de douceur, voire de tristesse.
Les yeux et le menton sont petits, le nez paraît court, la bouche pincée.
Le voile court laisse apparaître quelques cheveux ondulés, finement traités comme ceux de l’Enfant Jésus, porté sur le bras gauche comme habituellement.
Au premier regard on remarque la posture hanchée et la belle polychromie originelle très bien conservée. La robe rouge, à l’encolure arrondie, est recouverte d’un manteau bleu. Ce sont là les couleurs traditionnelles dans les représentations de la Vierge.
Le drapé du manteau, qui remonte en tablier sur lequel est assis l’Enfant Jésus, dessine une série d’élégantes volutes d’un côté et des plis courbes de l’autre.
La jambe d’appui est positionnée dans le creux dessiné par les deux plis de la robe, dont l’ourlet laisse passer le pied gauche reposant sur un socle polygonal de forme oblongue.
Sous la taille, une partie du manteau est rabattue, laissant voir la ceinture maintenant la robe.
Cette ceinture est ornée de rosettes et de cabochons. L’Enfant Jésus, vêtu d’une chemise et d’un surcot en tient l’extrémité des deux mains.
Il semble même nous la donner à voir.
Il s’agit là d’un élément iconographique assez rare. Dans le contexte de la vénération mariale, la ceinture de la Mère de Dieu prit une importance accrue en tant que symbole de sa virginité et d’une vie vertueuse. A Bouxières le thème de la ceinture bouclée, ostensiblement et solennellement présentée par l’Enfant Jésus, prend un sens particulier du fait qu’on se trouve sur les lieux mêmes d’un chapitre de Dames nobles.
De plus, le geste d’ostension de l’enfant peut être interprété comme une évocation de la relation spirituelle entre la Vierge et son Fils, du lien entre l’Humain et le Divin.
Liens externes
Ce motif iconographique se retrouve sur la statue du Museum of Modern Art de New York, probablement originaire de Normandie, sur la madone de Montaigu-les-Bois (50), celle de Bousseraucourt (70) ou, en Lorraine, sur les madones de Pontoy (57) ou sur celle que détient le Musée départemental d’Epinal.
Cette particularité de la statue de Bouxières peut être mise en lien avec la vénération de la relique de la ceinture de la Vierge, dont la cathédrale de Prato en Toscane est un haut-lieu depuis le XIIème siècle après qu’un marchand l’eût rapportée de Jérusalem. Mais le Mont-Athos ou le Puy-Notre-Dame en abritent une également.
Pour conclure, il semble indispensable de citer une nouvelle fois la Vierge de la cathédrale de Saint Dié souvent considérée comme le modèle lorrain de référence de Vierge à l’Enfant. Toutefois les similitudes qu’elle donne à voir avec celle de Bouxières, leur quasi gémellité, autoriseraient à placer ces deux chefs-d’oeuvre sur un pied de stricte égalité.
Jean-Luc Colombat
CRVB février 2023